Détachement

De la même manière que l’on peut répéter un mot encore et encore jusqu’à le dénaturer, on peut regarder un objet encore et encore jusqu’à ne plus le reconnaître. Penché sur mon bureau, je commence donc à observer mon bras, immobile.

Il est là, tel une exubérance qui sort de mon corps et qui s’étale devant moi. Je prend conscience de son poids sur la table, de son volume. Mais peu à peu, mes sensations dans ce dernier s’effacent. Il n’est dorénavant qu’un corps ballant, rattaché à mon épaule. Il commence même à me déranger. Il encombre mon bureau, et me répugne avec son extrémité difforme et pleine de… doigts.

Je continue de le regarder, quand soudain, un soubresaut le parcourt. Fascinant… Cet animal étrange, jusque-là inanimé, se met progressivement en mouvement. Son extrémité oscille dans un mouvement inquiétant qui rappelle une respiration. Son enveloppe se plisse et se tend lentement. Je retiens mon souffle. Il se met alors à glisser sur la surface du bureau. Sans bruit. Il s’approche. Tout doucement. Dangereusement même, et… Oh là là, en voilà un deuxième !